Textes 1960 – 1970
« Jacques Vimard ou l’ordre Baroque de la femme », texte de Raoul Jean-Moulin, 1970
Le nu, pour Jacques Vimard n’est qu’un moyen pour s’exprimer par la peinture. Il déploie sur la toile l’arabesque d’un corps, la cambrure d’un torse, dont l’ondulation se prolonge par la hanche et la cuisse et se brise dans un bras, une jambe repliée, une tête renversée. Ce corps n’est pour le peintre qu’une figure à travailler, à mettre en page pour la posséder et la magnifier, selon qu’elle se livre, se délivre et se reprend, ouverte comme un vallon sous la caresse lente du soleil, fermée, refermée sur elle-même comme le sont la nuit les forêts.
Le nu représente pour Vimard ce que la montagne Sainte-Victoire représente pour Cézanne. C’est sa ligne de crête et sa prise terre, sa manière de comprendre et de résumer le monde, la vie. Toute la vie. Nu ou montagne, c’est le même paysage –celui de la peinture. A l’exemple de Cézanne, Vimard fait de la femme sa nature, son espace, son langage. A partir d’elle, à partir du système de formes qu’elle détermine, le peintre peut tout dire, tout construire, élaborer sa propre vision du réel, manifester par la peinture sa capacité de création.
La présente exposition porte sur quatre années de travail. Les toiles les plus anciennes, celles de 1967-1968, témoignent de la période où Jacques Vimard entreprit d’ordonner sa couleur, son écriture, sa formulation de la réalité. Il ne partait pas alors de la vie, de son bouillonnement tumultueux et toujours à déchiffrer, mais de la traduction photographique qui la fige dans une dimension données, pétrifiée, amputée de son devenir.
Ses sujets, il les empruntait à l’actualité selon Paris-Match : Pompidou et madame sur la plage, Edgar Faure en vacances dans son château, les lieux et les personnages du drame de Cestas, l’Attentat contre l’avion d’El Al à l’aéroport de Zurich-Kloten… Photographisme transposé en peinture, simplifié dans le trait et la couleur qui, contrastée, saturée, normalisée, affirme sa double dominante rouge et verte.
Par le traitement plastique de l’évènement photographié le peintre fit ainsi l’expérience d’une discipline du regard : il prit conscience de la réalité des formes, de leur structure, de leur aptitude à se lier, se délier ou se rompre selon le principe d’une syntaxe.
Ce fut la mort de Zurich-Kloten que la vie reprit soudainement ses droits dans la peinture de vimard. Le mort devint volumineux, emplissant la toile et la débordant de part et d’autre avant d’engendrer les premiers nus. Les premiers comme les sujets précédents, furent peints avec des couleurs vinyliques, presque en aplats ; mais le besoin de renouer avec l’huile devait s’imposer comme une nécessité. Il s’agissait, pour Vimard, d’être plus libre dans sa recherche, dans le nouveau champ d’expression qu’il venait de choisir, plus libre dans la matière même de sa peinture.
Désormais, la femme articule l’espace qu’elle invente corporellement. La femme –mais on pourrait dire aussi bien la vie- roule ses vagues qui se brisent ou s’enlacent, s’étalent, se fondent, se fécondent dans les rythmes d’une configuration organique. Violente, ondoyante, exubérante, elle cadence la toile de ses impulsions, elle l’investit de ses mouvements profonds, de la danse amoureuse qui la brûle et la transfigure.
Elle transforme tout ce qu’elle s’approprie, lei, décor, parure, tout ce qui nous la dérobe et tout ce qui nous la révèle. L’ordre baroque de ses gestes organise le monde autour d’elle. »
Jacques Vimard, texte d’Hélène Parmelin Mai-juin 1973
« Vimard est de ces peintres « nés » dont on dit en voyant leurs premières toiles : « Il y a quelque chose dedans. » Il est de ces peintres à énergie passionnée, qui n’essaient pas de ruser avec la peinture, mais foncent au travers.
Il hait les estrades à peintres. Il ne tombe pas dans les pièges d’aujourd’hui où meurent à peine nommés des milliers de « génies » qui travaillent à leur renommée avant de travailler tout court, et disparaissent dans le néant ou dans la mode, leur petite trouvaille à la main. Vimard a encore très peu exposé. Il se voue au travail exclusivement pendant tout le temps que la vie lui en laisse le moyen. Il peint, il regarde, il se conteste, il fait ses expériences. Et sa vie jeune, mais combien difficile, est tout entière marquée de sa fureur de peindre et de connaître. Sa peinture, de métamorphose en métamorphose, est forte et passionnée. Jamais indifférente. Jamais calme. Jamais pour rien. Ses expériences, à travers lesquelles sa personnalité se forge, et se dessine de plus en plus clairement, sont celles de ce temps singulier où s’affrontent en art tant d’idées novatrices et destructrices. Qui toutes sont nourriture. Même si l’atmosphère qu’elles créent est souvent rien moins qu’exaltante.
Il a été happé par les drames de l’actualité et leurs images photographiques. Il ne pouvait plus penser à autre chose, parler d’autre chose. Car ses thèmes le taraudent. Et le hantent tout à fait de la même façon quand ce peintre sans cravate, au propre comme au figuré, se met à considérer avec un regard de peintre une main sur une cravate, que la peinture transforme en problème de la réalité et de l’esprit. Et de la même façon, quand il fonce à travers les nageurs, ne vit plus, ne respire plus qu’à travers les problèmes que lui pose la vérité de la mer et de ses écumes, celle du mouvement, afin de peindre non pas des corps dans l’eau mais cette substance non nommée faite du corps liquide et de la mer solide, qui est « le nageur ». L’exposition de Lyon éclate de cette jeunesse forte et passionnée, amoureuse de la vie et douloureuse, sûre d’elle-même et incertaine, violente et méditative, qui est celle de Vimard, accordée à celle de notre temps.
Il répète souvent – le sait-il ? – une phrase qui est sa marque : « Je suis furieux ! » Furieux de ce qui se passe. Ou de ce qui ne se passe pas. Furieux à propos du monde des arts. Ou du monde tout court. Ou à propos de lui-même. En dehors du talent et de sa façon de travailler, comme il dit, « au maximum », il possède au plus haut degré cette qualité majeure du vrai peintre : l’insatisfaction. Cette fureur, souvent découragée et décourageante, est tout entière dans sa peinture, où elle devient nourrissante, féconde, bouscule tout, remet tout en question, explose. Ce qui n’empêche pas, répondant à ses enthousiasmes délirants et à ses fureurs noires, une grande clarté, une lumière de peintre, aboutissant à cette présence d’une peinture vraie, qu’on ne peut pas ne pas sentir profondément à l’exposition de Lyon. »
« Contre Courant », texte d’Édouard Pignon Éditions Stock, 1974
« J’ai rencontré un très jeune peintre dont les toiles m’ont beaucoup impressionné. Il y avait une grande sensibilité dans la matière, dans la couleur. Il a laissé une toile chez moi, dans mon atelier. Comme c’était une grande toile, il y en avait toujours un morceau qui dépassait d’autres toiles de moi posées devant. Et ce mètre carré de couleur qui sortait jetait un éclat. Et ça c’est un don. Ce type a bu inconsciemment le lait de Matisse, celui de Picasso, comme celui de Cézanne. Il ne faut rien ignorer pour se libérer. »